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COLLAB : TENDANCE DE FOND OU SATURATION ?

En 2023, les collaborations continuent d'être au cœur de l'actualité mode. Au-delà de leur aspect purement commercial, quels sont les enjeux pour les marques ? Entre saturation ou effervescence, WE MADE a enquêté pour comprendre les dessous de cette tendance qui ne cesse de prendre de l'ampleur.



UN PEU D'HISTOIRE

Au fil du temps, les collaborations sont devenues des exercices récurrents chez les marques. Chaque mois, l’industrie de la mode compte de nouvelles collaborations. Entre Balmain x Barbie, Suprême x Burberry, Adidas x Balenciaga, ou encore Jacquemus x Nike, 2022 a connu pléthore de collaborations. Un an plus tard, ces associations n’ont pas fini de surprendre. Louis Vuitton x Yayoi Kusama, Suprême x Balenciaga, ou encore H&M x Mugler sont déjà sur le devant de la scène. Entre tendance et légitimité, retour sur les temps forts de l’histoire des collaborations.


Selon Le Robert, une collaboration est un travail commun. C’est un partenariat, une union, un acte de produire quelque chose entre deux ou plusieurs individus ; l’objectif étant de produire un résultat supérieur à celui qui aurait pu être réalisé seul. Dans l'industrie de la mode, les collaborations concernent l’union entre différentes marques, maisons de luxe, artistes ou encore influenceurs. Il s'agit d'un enjeu marketing et commercial visant à apporter une valeur ajoutée pour les deux parties et à créer une collection limitée et unique.


Selon Jean Noël Vigoureux-Loridon, historien du costume et de la mode, les premières collaborations "esthético-commerciales" médiatisées sont apparues dès le début du XXème siècle avec Paul Poiret et Raoul Dufy. Elles seront particulièrement spectaculaires dans les années 30 avec Schiaparelli qui travaille avec un grand nombre d’artistes surréalistes et d’avant-garde. Elle doit sa robe homard à Salvador Dali, son manteau trompe l’œil à Jean Cocteau, et trois modèles de sa collection "Astrologique" à Christian Bérard. C’est le début d’une longue série de collaborations entre artistes et grands génies de ce temps. Les années 1980 vont innover en introduisant la collaboration entre couturier/styliste et "street artiste". Pensons seulement à Jean Charles de Castelbajac et Keith Haring. Dans les années 90, certaines collaborations vont faire l’objet d’une surmédiatisation internationale, faisant passer au premier plan l’intérêt mercantile de l’association. La collaboration Versace x Andy Warhol est un exemple type. Afin de promouvoir cette collaboration, Versace a fait défiler Naomi Campbell dans l’une de ses robes. Les collaborations sont donc des concepts courants qui ont évolué et qui se sont enrichis. Fériel Karoui, ex trendsetteuse pour Promostyl, aujourd’hui creative whisperer, qui "chuchote les tendances aux créatifs", date les premières collaborations à La Redoute qui, dans les années 70 commençait à inviter des designers dans les pages de leur catalogue. Ainsi, Emmanuelle Khanh avait effectué des collaborations spécifiques avec le vépéciste.


Pour Romain Tardy, expert en social media et fondateur du Bureau Tardy, les collaborations sont apparues dans les années 2000 avec "la volonté pour les marques de luxe d’aller s’adresser à des audiences qui étaient éloignées du monde du luxe", notamment avec l’une de premières collaborations, H&M x Karl Lagerfeld. Ainsi, l’industrie de la mode a été jalonnée par des collaborations emblématiques. En 2004, Karl Lagerfeld fut le premier à collaborer avec un géant de la fast fashion. En 2016, lors d’un défilé hors calendrier Fashion Week aux Galeries Lafayette, Demna Gvasalia présente sa collection Printemps-Eté 2017 pour le collectif Vetements dont il est le co-fondateur, en collaboration avec 18 marques connues du grand public dont Juicy Couture, Levi’s, COMME des GARCONS, Reebok ou encore DHL. "Cette collection est un hommage à l'industrie. C’est une manière de leur dire merci pour tout ce qu'elle nous a apporté et présenter notre respect aux marques qui ont inspiré nos produits", expliquait son frère Guram Gvasalia. Romain Tardy se souvient encore de cette collaboration "le défilé, c’était littéralement des gens habillés en DHL".


Courtesy Natacha Jonson

Natacha Jonson, anciennement styliste à Buenos Aires, aujourd’hui étudiante en sociologie de la mode à l’Ecole du Louvre et conseillère de vente pour la Maison Margiela au Bon Marché, voit d’une façon très novatrice ce type de collaboration, "Demna Gvasalia mélange différentes marques et s’inspire de la mode et de la rue pour proposer des collections qui peuvent vraiment être portées". Lors du défilé homme Automne-Hiver 2017-2018, Kim Jones, alors chez Louis Vuitton, dévoile sa collaboration avec Suprême, les codes du streetwear infusent dans l’univers du luxe. L’année 2021 est marquée par l’évènement Gucci x Balenciaga et Fendace. Comme le rappelle Romain Tardy, ce sont les toutes premières "hacking lab, des collaborations entre marques de luxe et qui, dans le vocabulaire de ces marques, ne sont pas des collaborations, les marques vont directement puiser dans leurs référentiels respectifs, et pour la première fois, collaborent entre elles".


DES INTÉRÊTS COMMERCIAUX

Ces dernières années, l’industrie de la mode a vu naître différents types de collaborations. D’après Fleur Burlet, auteure de l’article "Collaborations de mode : arrive-t-on à saturation ?" pour Les Inrockuptibles, "l’art de la collaboration dépasse le cadre de la réunion du high and low, du luxe et du mass-market". Il s’étend désormais à d’autres domaines et se présente aujourd'hui sous différentes formes. Les collaborations touchent d’autres univers : la musique (Pharrell Williams x Louis Vuitton), le sport (Nike x Jacquemus), l’agroalimentaire (Pasta Di Martino x Dolce Gabbana), la technologie (Samsung x Maison Margiela) ou encore le metaverse (Fornite x Balenciaga).


Courtesy Erwann Chevalier

Selon Erwann Chevalier, journaliste mode, joaillerie et musique pour Numéro, "les collaborations ne peuvent plus seulement toucher les vêtements". Les maisons de luxe collaborent entre elles. Nommée hacking lab, l’idée est de se réapproprier leurs codes. Pour Fendace, Donatella Versace a livré sa vision des codes Fendi, tandis que Kim Jones proposait une interprétation de Versace selon Fendi. Selon Natacha Jonson, "les collaborations entre maisons de luxe représentent des tendances très fortes aujourd'hui". D’après Romain Tardy, l’arrivée de ce phénomène est liée au fait que "les marques de luxe se sont aperçues qu’elles avaient fait le tour dans ce domaine, le dernier rempart qu’il restait était de créer des ponts entre les marques de luxe elles-mêmes". Selon l’expert en social media, l’idée est "de célébrer l’excellence pour créer de la valeur additionnelle", Hermès et Rolls-Royce qui collaborent pour créer une Phantom est un exemple type. Enfin, on retrouve les collaborations avec des personnalités ou influenceurs stars, notamment Harry Styles x Gucci ou encore Léna Situations x Adidas.


Aujourd'hui, quels sont les objectifs des collaborations ?


Pour Erwann Chevalier, "les collaborations entre les marques c’est du viagra, au-delà de l’aspect créatif, l’objectif est clairement commercial, c’est surtout pour relancer la consommation des marques et que cela devienne tendance".


Courtesy Adèle Bari

D’après Adèle Bari, journaliste pour Vanity Fair, aujourd’hui indépendante, "l’objectif d’une collaboration reste sans aucun doute purement marketing". Les marques souhaitent élargir leur cible et susciter de l'intérêt auprès d’un nouveau public. La récente collaboration entre Desigual et Alphonse Maitrepierre en est une parfaite représentation : "si la première marque a longtemps été destinée aux 45-50 ans, la deuxième, née en 2018, attire un plus jeune public. Cette union redore l’image de Desigual, la réinvente avec style, et charme ainsi la jeunesse." C’est également l’occasion de rendre le luxe accessible. Selon Natacha Jonson, les collaborations ont plusieurs objectifs. Tout d’abord, "une collaboration entre deux marques ou deux maisons, c’est comme une relation humaine, on cherche à se complémenter avec des personnes qui ont ce que nous ne possédons pas afin d’arriver à un objectif supérieur, plus positif". Cela permet aussi de générer de la visibilité et du buzz, de rendre le luxe plus accessible, "H&M, c’est le supermarché de la mode qui sympathise avec de grandes maisons de luxe". Mais avant tout, elle rappelle qu'à l’origine, il s’agit réellement d’un intérêt commercial "parce que la mode est commerciale".


Courtesy Fériel Karoui

Pour Fériel Karoui, creative whisperer, les collaborations "c’est un peu comme pour un couple, l’objectif est d’échanger des valeurs tout en gardant sa singularité, d’étendre le champ des possibles et de palier peut être certains défauts". Par exemple, Chloé et Barbour. Chloé est une marque plutôt féminine, poétique, alors que Barbour est davantage rustique. Marier deux opposés. C’est aussi "tester la solidité d’une marque, voir si on a un univers de marque fort, observer les valeurs qui sont interprétées par une autre marque et avoir une autre dimension tant du point de vue du consommateur que de la marque". De plus, "c’est toujours l’occasion de communiquer et d’avoir une relation avec le consommateur". Romain Tardy confirme l’envie pour les marques d’aller s'adresser à de nouveaux segments de marchés et à de nouvelles typologies de consommateurs dont la génération Z ou les Millenials, d’aller parler à des audiences qui n’ont pas l’habitude de consommer du luxe et de faire du volume pour les marques de luxe. Avec l’association Adidas x Gucci "on assiste à une premiumisation des marques de sportswear, on va chercher des marques de streetwear et on les fait rentrer dans des pricing de luxe". De plus, il note l'intérêt d'aller rechercher d’autres champs d’expertises et des savoir-faire que l’on ne va pas maîtriser. "Par exemple, Hermès et Apple, Hermès pour la technologie, et Apple pour le travail du cuir. Les marques souhaitent également faire parler d’elles et créer un moment de communication."

"In fine, le but c’est toujours de vendre".


Une collaboration réussie permet aux marques de se développer et de se renforcer mutuellement. Selon Adèle Bari, journaliste indépendante, "plus deux marques sont différentes, mieux la collaboration se porte, allier deux univers, deux images de marques ou deux cibles singulières font la force d’une union". Pour Fériel Karoui, creative whisperer, "une collaboration efficace va apporter une valeur ajoutée, celle de Nike avec CLOT en est un parfait exemple, CLOT a su interpréter des codes et s’adresser à un marché qui avait un réel besoin". Pour Romain Tardy, une collaboration réussie est disruptive. Elle doit interroger, interpeller et marquer les esprits.


"Les collaborations c’est un peu comme pour un couple, l’objectif est d’échanger des valeurs tout en gardant sa singularité, d’étendre le champ des possibles et de palier peut être certains défauts." Fériel Karoui, creative whisperer et ex trendsetteuse chez Promostyl.

COLLABORATIONS, SATURATION OU AVENIR DE LA MODE ?

Les collaborations occupent une place de plus en plus importante dans l’industrie de la mode ces dernières années, mais est-ce que cette tendance représente l’avenir ? Parmi les exemples marquants, on peut citer la collaboration entre Nike et Virgil Abloh, fondateur de la marque de streetwear Off-White. La co-création entre Louis Vuitton et l’artiste Jeff Koons, célèbre sculpteur et plasticien de style néo-pop américain a permis de créer une collection capsule de sacs et accessoires inspirés des œuvres d’arts de célèbres artistes comme La Joconde de Léonard de Vinci.


Ces collaborations démontrent que les partenariats entre marques et créateurs peuvent être bénéfiques pour chacune des parties impliquées, en cohérence avec l’ADN de la marque ou de l’artiste. Romain Tardy, expert en tendances mode, Natasha Jonson, étudiante en sociologie ainsi qu’Erwann Chevalier, journaliste mode, considèrent le phénomène des collaborations comme "passé" et soulignent leur propos en exposant une nouvelle ère pour l’industrie de la mode. Elle prendra vie grâce à la jeune création qui permettra aux collaborations purement marketing, selon Fériel Karoui, de devenir "une composante" et non son essence même.


Ainsi, est-ce que ces collaborations sont réellement bénéfiques pour les marques et les influenceurs ?


Certaines marques se concentrent davantage sur la notoriété et la popularité plutôt que sur la qualité et la cohérence de la marque. De nombreux influenceurs acceptent des partenariats sans porter un intérêt véritable au concept initial de la marque, l'objectif principal est souvent de créer des pièces à leur image et qui reflètent leur propre style plutôt que de respecter l'identité de la marque avec laquelle ils collaborent. Cependant, cette quête incessante pour la nouveauté et l’originalité a créé une saturation dans l'industrie de la mode, où de plus en plus de marques rivalisent pour attirer l’attention des consommateurs et de nouvelles communautés.


Selon Erwann Chevalier, les collaborations ont « un aspect beaucoup trop commercial » et suscitent donc un intérêt moindre pour le partenariat en lui-même. Les collaborations qui ont pour but primaire de fournir une plus grande visibilité en deviennent "noyées" et sont donc totalement saturées selon Fériel Karoui, creative whisperer.


Pour Romain Tardy, le constat est le même, "les collaborations n’ont jamais été très authentiques", un sentiment que partage Natasha Jonson, évoquant le fait que la créativité ne fonctionne plus. Cette saturation des collaborations suscite un questionnement sur le caractère pérenne et indispensable de ce phénomène marketing. Il est ainsi parfois devenu difficile de distinguer les collaborations authentiques de celles qui sont simplement destinées à générer des bénéfices. Selon l’étude annuelle sur la consommation des produits personnels de Luxe Bain & Company, en collaboration avec la Fondation Altagamma, d’ici 2025, les Millennials et la Génération Z représenteront 55% du marché du Luxe.


D’après l’experte en prospective Fériel Keroui, les collaborations feront partie des composantes de l’histoire qui va s’écrire et ajoute "il existe de nombreuses façons d’être créatif. Cela peut passer par des talents en interne, de nouveaux outils que sont les intelligences artificielles, de plus en plus par de la co-création avec les consommateurs, et pas uniquement par une collaboration entre deux marques. La mode ne peut pas se passer de créativité." Sous quelles formes ? Elle ne le sait pas, nombreux sont les moyens de l’exprimer.

Texte : Valentine Deshayes et Ambre Rapel.



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