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PORTRAITS D'INTERVENANTS

Professionnels de la mode, passionnés et véritables piliers de l'école, les intervenants de ModeEstah se racontent. Rencontres.


David Bismuth

Intervenant en marketing,

communication et en

projet entrepreneurial

pour la filière Fashion Business.



WE MADE : Quel a été votre parcours professionnel ?


David Bismuth : Mon parcours professionnel est assez classique. J’ai fait une école de commerce qui m’a permis d’étudier plusieurs années à l’étranger. Ensuite, j’ai poursuivi mes études avec un Master en Sciences Politiques. Et j’ai commencé à travailler dans d’importantes sociétés de communication comme Havas Digital et me suis rapidement orienté vers de plus petites structures type PME qui me permettaient d’être polyvalent.


WE MADE : Vous avez créé votre agence de production B2 Créations avec votre cousin Laurent Bismuth, pouvez-vous nous en parler ?


David Bismuth : En réalité, il s’agit davantage d’une agence de production qui allie création et communication générale. Nous travaillons de manière bicéphale. Nous avons deux grands pôles ; l’un en création et l’autre en production. Nous développons toutes les idées de nos clients. Ceci peut aussi bien passer par le film, le print, la photo, que le digital. Et nous les mettons en place en production. Nous collaborons avec d’anciens et de nouveaux prestataires que nous avons ajoutés à notre réseau au fur et à mesure du temps. Dans la production, il faut surtout être bien organisé pour mener à bien les projets.


WE MADE : Comment avez-vous lancé votre entreprise ?


David Bismuth : Il existait déjà une première entité de B2 Créations qui a vu le jour grâce à des clients importants comme Burton, Old England, ou encore la Fédération Française de Tennis, qui est un client historique de l’agence. J’ai rejoint l’aventure en 2010, après avoir terminé mes études et travaillé dans une autre structure. Au fur et à mesure, je suis devenu gérant de la société. Se lancer dans une structure indépendante demande une prospection de clients perpétuelle.


WE MADE : Pouvez-vous nous parler de votre projet “Éternelle Notre Dame” ?


David Bismuth : Le projet de Notre-Dame vient d’être clos. Nous avons travaillé pour Orange, l’opérateur téléphonique qui est l’un des acteurs les plus importants dans le projet de reconstruction de Notre-Dame ; il participe activement à faire vivre le lieu. C’est un projet important. Notre-Dame accueillait de nombreux visiteurs avant l’incendie. Avec le projet “Éternelle Notre-Dame”, nous participons à faire revivre la cathédrale autour d’une expérience en réalité virtuelle qui se situe sous le parvis. Notre objectif est de faire rayonner l’engagement d’Orange auprès de celle-ci.


WE MADE : Quelles matières enseignez-vous et pourquoi avez-vous choisi d’être intervenant au sein de Mode Estah ?


David Bismuth : J’enseigne trois matières : le marketing, la communication et le management. J’ai choisi d’intervenir au sein de cette école pour sa dimension humaine. Auparavant, j’ai réalisé plusieurs modules de conférences dans d’autres écoles. A chaque fois, il s’agissait d’amphithéâtres d’une centaine d'étudiants. Enseigner à de nombreux étudiants flatte l’égo, mais c’est moins réactif. J’aime discuter avec les étudiants et créer de petits projets sur lesquels je suis plus libre. Par exemple, actuellement je fais travailler la classe de 3ème année Fashion Business avec des marques de mon réseau. L’objectif est de leur montrer ce qu’est la réalité de travailler avec de véritables marques.


WE MADE : Quel type de pédagogie appliquez-vous pour enseigner le marketing et la communication ?


David Bismuth : Mon enseignement est basé sur la théorie. Il est très important que les étudiants connaissent les bases théoriques. Cela peut paraître très ennuyeux, mais après, tout dépend de votre manière de l'enseigner. Même si on parle de théorie, cela n’exclut pas les exemples, la pratique. Je pense que lorsqu’on maîtrise la théorie, on peut s’en affranchir et réfléchir à beaucoup de projets. Mes cours sont donc très théoriques, mais le plus important est de faire participer tout le monde et d’aller chercher les étudiants qui parlent peu et sont réservés. Mon but est d’essayer de les intéresser et de faire participer la classe, c’est surtout cela : théorie et participatif.


“L’objectif est de montrer aux étudiants ce qu’est la réalité de travailler avec des véritables marques”

WE MADE : Quelles sont les clés pour réussir dans le marketing et la communication ?


David Bismuth : Je pense qu’il faut avoir du bon sens. Quand on regarde les cours de marketing, qu’ils soient dispensés à Mode Estah ou à HEC, tous les étudiants apprennent à peu près la même chose. En réalité, je pense qu’un marketeur, un communicant efficace a déjà beaucoup de bon sens. La créativité est également une clé pour réussir. Aujourd’hui, c’est ce qui fait la différence et que vous allez vous souvenir d’une communication réussie plutôt que d’une autre. Il faut que cela vous marque et que vous en parliez autour de vous. Le bouche à oreille reste la meilleure des communications.


WE MADE : Que conseilleriez-vous à un étudiant qui souhaiterait intégrer la formation Fashion Business ?


David Bismuth : Je lui conseillerai de ne pas se contenter des cours. Ces derniers sont importants car ils ont été réfléchis, pensés pour transmettre des acquis, mais il faut aussi s’ouvrir à d’autres secteurs et ne pas toujours écouter l’intervenant. Il existe beaucoup d’autres moyens d'apprentissage. Que ce soit en marketing, en communication ou en management, de nombreuses visions sont disponibles. Il faut apprendre la version du professeur car c’est sur celle-ci que vous allez être jugé et noté, mais je pense qu’il est important d’aller voir comment ces matières sont enseignées et abordées. J’ai des étudiants qui arrivent en admission parallèle, que je découvre en troisième année et qui n'ont pas eu le même enseignement sur des sujets qui sont pourtant les mêmes. Je pourrais prendre comme exemple le positionnement en marketing, c’est une notion qui peut être enseignée de plusieurs façons, ce qui est intéressant.


WE MADE : Concernant les projets pratiques avec des professionnels, quelles sont les marques avec qui vous travaillez avec les étudiants actuellement ?


David Bismuth : Avec la classe de 3ème année Fashion Business, nous travaillons avec des professionnels issus de mon réseau, Mahny Jewellery ou encore Alixe Zéro Sucre. A l’avenir, j’aimerais réaliser d’autres projets avec des marques qui me sont moins proches afin que le projet soit plus professionnalisant. Ces projets permettent aux étudiants de participer activement à la communication d’une marque de manière concrète. Ils ont de réels échanges avec les créateurs des marques, créent des posts Instagram, et réfléchissent à une nouvelle stratégie pour atteindre la clientèle. Cet exercice a pour objectif de comprendre toutes les étapes de la création d’une marque et de rencontrer des entrepreneurs qui ont créé leur propre entreprise à la sueur de leur front et qui ont des histoires radicalement différentes.


WE MADE : Que pensez-vous de l’impact du Web3, de l’intelligence artificielle sur les métiers du marketing et de la communication ?


David Bismuth : Les métiers de la communication et du marketing sont très impactés. Je vais prendre pour exemple ChatGPT, qui est un créateur de contenu d’intelligence artificielle. Cette intelligence artificielle prend alors la place d’un métier important du marketing. C’est un superbe outil de création de contenu éditorial. Certains métiers comme ceux d’illustrateurs ou encore de photographes vont en pâtir, les métiers de la communication vont également être amenés à être de plus en plus difficiles. Depuis plusieurs années, il existe des logiciels qui mettent en place des modèles pour conquérir un public et pour aiguiller sur la meilleure cible à choisir. Aujourd’hui, au niveau de la stratégie, quasiment toutes les décisions sont dictées par des algorithmes et des logiciels qui vous disent comment agir. Nombre d’éléments dans ces domaines vont donc être chamboulés dans les années à venir. Un véritable changement est à venir dans les métiers du marketing et de la communication. Il faut aussi se réjouir du progrès, se dire que d’autres opportunités de travailler dans l’intelligence artificielle s’ouvrent à nous, et qu’avec le progrès on arrive toujours à trouver de nouveaux métiers qui émergent !


Propos recueillis par Ambre Rapel & Valentine Deshayes.

Photographie par Chloé Vergez.




Amra Zvizdic,

Intervenante en Fashion Media


WE MADE : Quel a été votre parcours professionnel ?


Amra Zvizdic : Je suis originaire de Sarajevo, capitale de la Bosnie-Herzégovine, où j’ai commencé ma carrière de journaliste. J’ai toujours été intéressée par la mode. J’étais lycéenne au moment où Tom Ford était designer chez Gucci. Après mes études à l’université, travailler dans la presse était une évidence. Lorsque j’ai obtenu mon diplôme, j’ai directement intégré l’équipe du département mode d’un magazine local à Sarajevo. Ma première opportunité dans le milieu de la mode fut d’interviewer Jane Birkin, ce qui a été très important pour moi car j’ai pu lui demander d’évoquer sa carrière, son héritage et le fameux Birkin. Cette dernière a accepté de répondre à chacune de mes questions. J’ai ensuite déménagé à Paris où j’ai commencé à travailler pour le magazine Elle, construisant ainsi ma carrière. Il y a eu des hauts et des bas, comme pour chaque métier, mais je ne changerai pour rien au monde les étapes de mon parcours !


WE MADE : Pouvez-vous nous parler du journalisme de mode et de votre poste chez Elle International ?


Amra Zvizdic : Je travaille en tant que rédactrice mode pour Elle Croatie et suis chargée de proposer des histoires exclusives, des articles et des interviews de grandes marques de la mode pour notre magazine. J’écris principalement pour l’édition imprimée mais je me dirige au fur et à mesure vers la plateforme digitale. Aujourd’hui, je me focalise sur la recherche de sujets pertinents en explorant les archives de mode dans les musées, les collections privées ou en interviewant une personnalité historique dans l’histoire de la mode. Mon atout reste tout de même les interviews, à travers ma carrière, j’ai eu l’opportunité de m’asseoir face à de grandes personnalités de la mode dont le travail ne cesse de m’inspirer. Je serai éternellement reconnaissante à Azzedine Alaïa, Christian Lacroix, Carla Sozzani, et Agnès b., parmi tant d'autres qui m’ont permis d’ouvrir mon esprit à de nouvelles perspectives. Je pense que le journalisme de mode est un terrain de jeu car il m’a permis de m’amuser en faisant ce que j’aime le plus au monde : la rédaction. Je ne pense pas quitter ce milieu car j'évolue chaque année d’autant plus avec ma nouvelle aventure en tant qu’intervenante chez Mode Estah.


WE MADE : Vous enseignez aux étudiants en Fashion Business la matière Fashion Media. Quel est ce concept ?


Amra Zvizdic : Je suis convaincue que la mode est un sujet sensationnel car c’est l’un des reflets de la société le plus fin, immédiat et précis. On oublie souvent de différencier média et journalisme de mode et c’est ce que j’enseigne à mes étudiants. La communication digitale a permis de développer le potentiel entre la mode et les médias. Contrairement au journalisme qui se focalise la plupart du temps sur la narration, le concept de Fashion Media est un domaine interdisciplinaire qui mêle narration et média digital avec la possibilité de diffuser design, culture, art, photographie, montage vidéo et analyses digitales. Je suis consciente que je n’enseigne pas à de futurs journalistes mais à des experts de la communication dans la mode. Mes cours se focalisent sur l’apprentissage de l’histoire et du rôle des professionnels et des institutions qui façonnent la communication des médias de la mode et du style de vie. Mon objectif, permettre aux étudiants d’obtenir une expérience sur la création de contenu qui peut s'appliquer notamment au marketing de marque, aux réseaux sociaux, aux communications internes et externes. Si l’un de mes étudiants souhaite devenir journaliste de mode grâce à mon enseignement, j'en serais ravie.


“Comprendre la mode, son langage universel et transmettre convenablement son message au public est la clé pour une carrière accomplie dans l’industrie de la mode, peu importe la voie que l’on choisit de poursuivre !”


WE MADE : Quelle est votre pédagogie avec les différentes classes de Fashion Business dont vous avez la charge ?


Amra Zvizdic : Je pensais que travailler avec des étudiants de tranches d’âges différentes serait difficile. Aujourd'hui, je réalise que chaque groupe possède un niveau de connaissances qui lui est propre, mais ils partagent tous le même enthousiasme et la même volonté d’apprendre. Je pense avoir réussi à enseigner le concept de Fashion Media comme une partie intégrante du domaine de la mode et à rendre ainsi le sujet intéressant à leurs yeux. Selon moi, comprendre la mode, son langage universel et transmettre convenablement son message au public est la clé pour une carrière accomplie dans l’industrie de la mode, peu importe la voie que l’on choisit de poursuivre.




WE MADE : Comment enseignez-vous à vos étudiants le sens de la critique et la manière dont ils peuvent l’exprimer ?


Amra Zvizdic : Aujourd’hui, il n’existe quasiment plus de bonne critique mode. La tendance “see now - buy now” a mis un terme à la mode que nous connaissions avant les années 2000. Une tendance comme celle-ci a causé des répercussions au sein de l’industrie, obligeant chacun à travailler plus vite laissant peu, voire pas de place pour une critique pertinente. Les consommateurs et le public en général n’attachent plus d’intérêt aux critiques mode car elles s’adressent rarement à leurs besoins et avec l’arrivée des réseaux sociaux tout s’est accéléré. L’objectif de ces critiques est de faire prendre conscience aux designers l’état actuel de l’industrie et c’est ce que j’essaye d’enseigner à mes étudiants. Devenir critique de mode est un métier qui ne correspond pas à tout le monde. Certains journalistes qui se spécialisent dans ce domaine sont brillants dans leurs analyses sur certaines collections. Cependant, les temps changent et je ne pense pas que les magazines souhaitent critiquer une collection, une marque ou un créateur, l’argent a aussi impacté l’équilibre de l’industrie et je pense que les journalistes devraient rester en accord avec leurs principes et toujours dire la vérité afin de servir de moniteur indépendant du pouvoir.


WE MADE : Que pensez-vous de la crise dans les médias de la mode aujourd’hui ?


Amra Zvizdic : Comme toute industrie, je pense que les médias souffrent des conséquences des nombreuses crises mondiales qui sont survenues ces dernières années. Les consommateurs aiment à penser que l’industrie de la presse écrite se meurt mais je ne suis pas d’accord avec cette idée. Avec l’apparition des médias digitaux, la presse écrite a perdu son rôle primaire mais je ne pense pas qu’elle disparaisse totalement. Les temps changent, le journalisme de la mode évolue et je pense que ces deux secteurs s’adaptent à ces nouvelles conditions et réussissent à s’en sortir.


WE MADE : A votre avis, quelles compétences sont à acquérir pour devenir journaliste de mode et quels conseils donneriez-vous à un étudiant qui aspire à en faire son métier ?


Amra Zvizdic : Tout d’abord, il faut aimer ce métier. Je pense que beaucoup de jeunes étudiants ont une perception du monde de la mode comme étant beau et charmant, une industrie où tout n’est qu’amusement, pourtant ce n'est pas le cas. Comme toute autre secteur, la mode demande du temps et de l’énergie. Les codes ont beaucoup changé depuis que je suis rentrée dans l’univers de la mode et cela continue. Il faut impérativement avoir des connaissances sur ce qu’était la mode, ce qu’elle est et ce qu’elle deviendra. Comme toute autre profession, je pense que le processus d'apprentissage ne s'arrête jamais, on apprend tous en pratiquant et c’est ce qui fait la beauté de la presse de la mode. Il y a toujours quelque chose de nouveau à découvrir, à chercher, à voir dans l’histoire de la mode qui fait que notre travail devient plus intéressant pour nous et pour nos lecteurs.


Propos recueillis par Ambre Rapel & Valentine Deshayes.

Photographie par Herbert Ejzenberg.





Nawel Maj

Intervenante en Atelier Image et Mode

pour la filière Fashion Business

et en Direction de l’image pour les étudiants

en filière Styliste Designer et Innovation,

Création et Direction Artistique.



WE MADE : Pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel ?


Nawel Maj : À la suite de mes études de mode en design de vêtements à l’école Duperré, je me suis rendu compte que ce qui m'intéressait, c'était l'image. J’ai effectué un stage chez Guy Laroche où j’ai été embauchée en tant que designer vêtement homme. Puis, j’ai décidé de me consacrer à la réalisation de mon book d’images de mode autour de la production artistique, quand je me suis sentie prête à le présenter, mon style était très différent de celui des années 80. Les illustrations étaient très stylisées et réalisées dans les bureaux de Jean-Paul Gaultier, très stéréotypées. Je voulais faire partie de la dynamique des années 90, soit une mode très japonisante, très crue et réelle au niveau de la représentation des images. C’est ainsi que j’ai été amenée à contacter le magazine Numéro que Babeth Djian lançait. Parallèlement, j’ai travaillé en tant que directrice artistique junior sur des shootings photo, des productions publicitaires. Et puis aussi sur du cinéma, des longs métrages, des clips, des pochettes de disques, Michael Jackson. Vraiment, c'était complètement insensé. J’ai également été attachée de presse à mi-temps, le temps que mes publications commencent à sortir, j'ai commencé à travailler pour de la publicité. Parallèlement, j'ai continué mon travail artistique en tant qu'artiste visuelle, peintre et plasticienne. Et j'ai été amenée à créer des expositions à travers le monde et à collaborer sur des productions en tant que directrice artistique. Petit à petit, je suis devenue directrice de création, j’ai donc travaillé au moment de la construction, de l'élaboration, du développement d'une marque, d'une maison, d'une collaboration et je suis devenue intervenante.


WE MADE : Vous exercez le métier de directrice artistique qui fait rêver beaucoup d'étudiants, pouvez-vous nous expliquer quel a été votre parcours pour occuper ce poste ?


Nawel Maj : Cela a été une démarche personnelle parce que je me suis rendu compte en travaillant auprès d’agences publicitaires qu’il y avait un travail réalisé par les directeurs artistiques, souvent, ils ne comprenaient pas tout à fait la finalité de mon travail à titre personnel, parce que c'était très particulier. Je mélangeais différentes techniques, ils laissaient libre cours à mon imagination en tant que directrice artistique puisqu’il était très difficile d'intervenir sur mon travail en amont, ils ne savaient pas très bien comment je fonctionnais et me laissaient la liberté de faire. J’ai travaillé pour d'autres maisons, sur de l'édition par exemple, sur un catalogue avec Hermès, j’avais carte blanche. En fait, c’est ma force. A partir du moment où vous vous occupez de tout, vous ne faites pas qu’exécuter. En amont, vous effectuez réellement un travail de concept et une proposition artistique qui fonctionne, c'était assez lié à mon travail en tant qu'artiste, et cela s'est fait très naturellement. Par la suite, on m'a demandé d'intervenir en école parce que j'avais un regard assez global, et c'est vraiment cela la définition d'un directeur artistique, c'est d'avoir une vision à 360 degrés d'un projet.


WE MADE : Au fil de votre carrière vous avez occupé différents postes au sein de nombreuses marques et maisons, que retenez-vous de ces expériences ?


Nawel Maj : La pluridisciplinarité m'a toujours qui m'a toujours intéressée, je m’y sentais à l'aise. Je m'ennuie très, très vite. J'aime comprendre comment les choses fonctionnent. En fait, je ne peux pas simplement me concentrer sur un seul aspect. J'ai besoin de comprendre pour pouvoir faire des propositions pertinentes. Je dirais que toutes les maisons pour lesquelles j'ai travaillé, qui m'ont donné cette possibilité, représentent mes plus belles expériences, c'est-à -dire la liberté, la confiance. En tant que leader, qu'artiste, je ne peux pas exécuter. J'ai besoin d'être autonome. Et d'avoir de la liberté et mon propre regard sur les choses, peut-être un angle qui n'est pas celui que la plupart des gens proposent, mais en tout cas, c'est celui qui va représenter ma personnalité, ma sensibilité et ma facture.


WE MADE : Est-ce que la pluridisciplinarité est l’une des raisons pour lesquelles vous avez été amenée à partager votre expérience professionnelle auprès des étudiants ?


Nawel Maj : Absolument, c'est arrivé vraiment à point nommé. Ayant beaucoup travaillé, j'ai besoin d'avoir de nouvelles expériences. Aujourd'hui, on constate que la mode, ce n'est pas uniquement créer du vêtement, il faut être multitâche, multicarte, pluridisciplinaire, on le voit avec Pharrell Williams qui a pris la tête de la direction artistique de Louis Vuitton. Un chanteur, un musicien, un artiste peut tout à coup faire des propositions de design de vêtements. Les frontières, les barrières n'existent plus. C'est internet, bien entendu, qui a véhiculé tout cela et qui a changé la donne. Et j'en suis fort heureuse parce que c'est ainsi que j'ai toujours conçu les choses, c'est-à -dire sous sa multiplicité et non sous un seul angle, sous un seul regard. Je comprends aujourd'hui, peut-être, que j'avais eu du flair ou de la sensibilité qui allait dans ce sens-là.


WE MADE : Vous êtes intervenante en Image et Mode chez Mode Estah à la fois auprès des étudiants Fashion Business et des étudiants en Stylisme, Design et Direction Artistique, quels types de pédagogie mettez-vous en place en fonction des différentes filières ?


Nawel Maj : Pour les créatifs, je travaille proche du vêtement, c'est un regard de direction artistique sur une collection. Cela signifie une cohérence par rapport au concept, à la déclinaison des produits et puis surtout pouvoir répondre à une attente sur un sujet donné. Les designers vont être amenés dans un premier temps à travailler pour d'autres designers. Avec beaucoup de chance, ils vont pouvoir lancer leur propre collection. Mais il s’agit tout de même de se mettre au service d'une maison, d'un créateur, d'un designer, d'une autre vision. Cela signifie pouvoir faire des propositions en fonction de l'univers dans lequel on est amené à travailler. En revanche, avec les étudiants en Fashion Business, il s’agit de réfléchir à comment mettre en place une idée pour qu'elle soit comprise immédiatement et par tous. Comment, par quel procédé, faire en sorte qu’un concept, quelque chose d'abstrait, puisse devenir concret. On passe donc par différentes étapes qui constituent une méthodologie.

WE MADE : Comment aidez-vous vos étudiants à libérer leur créativité ?


Nawel Maj : Être curieux est pour moi fondamental, il faut s’informer continuellement. On ne peut pas être créatif si on n'a pas d'idées, celles-ci viennent en s'informant, en allant vers les choses, vers les gens, en s'intéressant à tout ce qui s'est fait et tout ce qui se passe. Vous allez d'une certaine manière imprimer toutes ces informations. Elles vont ressortir d'une manière ou d'une autre, sans même que vous en ayez conscience. C'est comme une bibliothèque. La réponse est donc plutôt d'aller chercher vers ce que les autres ont déjà fait. Il faut aller vers les maîtres, les références absolues. Ce qui est à la mode, disait Gabrielle Chanel “se démode”, il faut aller chercher les origines. Ce sont les fondations, elles ne disparaîtront jamais. Et donc, c'est d'abord la curiosité. Et puis, c'est surtout de travailler, faire des propositions.


WE MADE : Comment le métier de directeur artistique a-t-il évolué ? Et selon vous comment se démarquer ?


Nawel Maj : La pluridisciplinarité permet de se démarquer, c'est-à-dire que directeur artistique, ce n'est pas simplement un statut, c’est aussi un métier. Ce dernier maîtrise la typographie, la mise en page, le texte et l'image dans le domaine de la presse et de la publication. En revanche, être directeur artistique dans les autres domaines, en tant que designer ou en tant que créateur, c'est une approche différente. Celle-ci requiert un regard global et beaucoup de culture. C'est comme un chef d'orchestre, il maîtrise la musique, il a l'oreille absolue la plupart du temps et il peut diriger. Son travail, c'est d'accorder l’orchestre dans une vision globale, pour jouer le morceau à travers sa propre vision. Ce qui va faire la différence entre lui et un autre chef d’orchestre, c'est sa façon d'interpréter cette œuvre. Donc, un directeur artistique, c'est un chef d'orchestre, un musicien, qui ne maîtrise pas tout à la perfection, en revanche, il a ce regard global que la plupart des artistes qui participent à cette œuvre n'ont pas.


Propos recueillis par Ambre Rapel & Valentine Deshayes.

Photographie par Chloé Vergez.




Marc Guéville

Intervenant en infographie, Cahier des charges pour la filière Stylisme et Modélisme, et en maille.

Pour la filière Fashion Business.


WE MADE : Pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel ?


Marc Guéville : Ma carrière a démarré il y a une vingtaine d’années. J’ai commencé dans le secteur de la maille, notamment à la fédération de la maille où j’assurais toute la partie stylistique. Le but était de créer un forum “tendances pour l’enfant”, avec le bureau de style Nelly Rodi. Nous avions de la prospective sur presque 24 mois, les journées fournisseurs, et les salons qui avaient lieu deux fois par an. Nous présentions les échantillons aux industriels et participions à des concertations de style pour les orienter dans leurs achats futurs, dans les imprimés et les volumes pressentis. J’y suis resté pendant 5 ans. Le salon a été racheté par un grand groupe. J’ai ensuite très vite décidé de devenir indépendant. Cela m’a permis d’avoir une vue transversale de l'industrie de la mode, car j’ai travaillé avec beaucoup d'entreprises, notamment dans le luxe.



WE MADE : Quelle matière enseignez-vous et pourquoi avez-vous choisi d’être intervenant au sein de Mode Estah ?


Marc Guéville : J’enseigne des matières qui sont liées à l’infographie du textile. C’est ce qu’on appelle du “Digital Fashion”, soit la façon de faire intervenir des outils et des nouvelles technologies dans la production textile. Ce dernier n’est pas uniquement focalisé sur la créativité. Il y a aussi une partie technique, notamment pour les dossiers techniques de fabrication. L’objectif est d’apporter aux stylistes une structure qui va au-delà de la créativité. Je touche aussi les croquis de style. J’ai réalisé que les étudiants dessinaient peu dans les écoles. Je les pousse donc tant à la main que sur tablette afin qu’ils soient opérationnels au sein d’une entreprise. Pour les classes de 3ème et 4ème années, on aborde le design d’objet, de parfums et de cosmétique. J'espère implémenter CLO 3D dans les prochains mois ou les prochaines années, formidable logiciel digital qui permet de faire du prototyping tout en raccourcissant les délais de production. Actuellement dans la grande distribution, pour un prototype, il faut compter entre 1 mois et 90 jours de délai de production ; que ce soit en Asie ou en Europe. Avec CLO 3D, on réduit ce délai de 90%. Il y a une interprétation digitale du rendu physique du vêtement et du tombé du tissu qui permet de détecter à l’avance le tombé du vêtement et sa viabilité au niveau industriel.


WE MADE : En quoi consiste l’infographie ?


Marc Guéville : L’infographie consiste à pouvoir rendre un dessin crayonné informatisé et exploitable rapidement. Cela permet de travailler très vite et de donner une capacité d’agilité et de réactivité en termes de création. Il faut savoir que toutes les entreprises américaines comme Billabong et Quiksilver travaillent essentiellement sur informatique. C’est également le cas des entreprises anglo-saxonnes. C’est une nécessité de décupler sa capacité créative par l’informatique et le digital.


WE MADE : Vous enseignez dans différentes écoles depuis plusieurs années, comment votre pédagogie a- t-elle évolué ?


Marc Guéville : Elle a évolué d’une manière très particulière. Avant d’enseigner dans les écoles de mode, j’ai formé des salariés. J’ai passé 18 ans chez Chanel, en tant que professeur à temps partiel. Former ce type de public vous oblige à être très efficace. Une formation basique sur Illustrator se fait en une semaine. A la fin, le salarié doit être capable de produire dans une optique d’industrialisation. Ce savoir-faire, j’ai pu le modéliser au contact des salariés, et le réadapter auprès des étudiants. Ces derniers ont un mode d’apprentissage différent. Nous avons la chance d’avoir du temps. Mon enseignement reste donc très concret et pragmatique. J’essaye de les cadrer le plus possible dans leur qualité de production. Les écoles de mode ont tendance à former sur des disciplines comme la couture et la haute couture. Ce n’est pas la seule réalité.


WE MADE : Quelles sont vos techniques d'apprentissages pour vos étudiants débutants ?


Marc Guéville : Pour les débutants, j’essaye de les sensibiliser d’abord à l’outil. C’est-à-dire Photoshop ou Illustrator. Je ne leur donne pas forcément d’exercices spécifiques au textile, mais j’essaie de leur transmettre une culture plus générale, surtout sur l'approche du dessin, des logos, de l'identité visuelle et des règles de mise en page. Dès qu’ils ont commencé à avoir les fondamentaux, généralement au bout de 6 à 8 mois, on commence à introduire de la silhouette, du croquis de chaussure ou de sac. Cette étape prend au moins entre huit mois et un an. La plupart des étudiants sont habitués à travailler au crayon, il y en a même qui ne dessinent pas du tout. Il faut donc leur donner cette sensibilité, ce savoir-faire graphique.


WE MADE : Quelles sont vos techniques d'apprentissages pour vos étudiants plus avancés ?


Marc Guéville : On travaille sur la compréhension et l’approche du style. Il y a une véritable réflexion sur le dessin, la cible et le travail des matériaux. On le fait aussi bien sur de la maille, du cuir, du jean ou encore de la chaîne et trame. Il faut essayer de leur inculquer une sorte de passion pour le coup de crayon. Beaucoup d’étudiants n’aiment pas dessiner et vont opter pour un mode de création plus personnel, ce qui peut ne pas être adapté en entreprise. L’idée est donc de leur transmettre un savoir-faire en termes de croquis, tant pour dessiner des accessoires que du prêt-à-porter homme, femme ou enfant. Quand on avance, pour les 3ème et 4ème années, on touche davantage à l’analyse transversale. Il faut être capable de réfléchir à un produit, le faire porter et l’industrialiser. Il y a donc une partie beaucoup plus poussée sur la réflexion marketing. L’apprentissage passe donc par le perfectionnement et le croquis de base, à une réflexion sur le produit qu’ils dessinent dans une optique de vente. Il faut que les étudiants apprennent à dessiner le produit tout en se détachant de leur créativité afin de devenir professionnels.



WE MADE : Pourriez-vous évoquer certains projets que vous avez réalisés avec vos étudiants plus avancés ?


Marc Guéville : Avec les dernières années, nous travaillons beaucoup sur le parfum, et ce qui gravite autour de la mode. Il y a une partie créative et une autre, plus technique autour du personal branding, l’image, les logos et les books. Je distingue les étudiants en 3èmes année en filière Modélisme avec lesquels je travaille davantage sur la partie modélisme et sur le dessin technique. J’essaye de leur inculquer le savoir-faire du croquis de style. En tant que modéliste, on peut leur demander d’être en mesure de dessiner des vêtements. Pour eux, c’est souvent un domaine qui peut s’avérer compliqué, tant dans la perception du volume que dans l’impulsion créative. La partie qui touche au teasing et au storytelling dans la création de dessin est très compliquée chez les modélistes. Mais on y arrive ! Ils sont issus d’un secteur essentiellement technique. Le cerveau, lui, est composé de deux hémisphères. Il faut donc passer de la partie technique à la partie créative. Pour les stylistes, c’est l’inverse. Eux doivent intégrer que la technique fait partie du processus de production. Ils doivent dessiner quelque chose de réalisable en termes d’industrie. Une vraie bataille !


WE MADE : Vous êtes expert en infographie notamment de la suite Adobe, avec l’arrivée de l’intelligence artificielle et du Web3, que pensez-vous de l’évolution du métier de styliste et d’infographiste ?


Marc Guéville : J’ai une spécialisation en recrutement grâce à une formation en RH, et en étant souvent en contact avec des bureaux de recrutement, on s’interroge sur le devenir du style. Une intelligence artificielle comme Midjourney est capable de faire un shooting photo en deux ou trois jours. Pour contextualiser, on peut demander une influence Chanel dans un cadre futuriste. Une intelligence artificielle travaille sur des bases de données dans lesquelles se trouvent des images et des connaissances répertoriées. Elle en fait une synthèse et va sortir une collection dans le style d’un shooting Vogue, Elle ou Marie-Claire. Une telle collection implique du crayonné, du prototyping, des toiles, du montage de vêtements, et enfin un shooting photo pour un budget d’environ 35 à 40 000 euros. Pour réaliser l’équivalent, un abonnement mensuel chez Midjourney s’élève à 70 euros. On obtient une qualité visuelle et artistique digne de professionnels. Dans le futur, j’espère qu’il y aura une forme de collaboration entre le vecteur d'inspiration que représente l’intelligence artificielle et le travail de réadaptation fait par le styliste. Le véritable point d’interrogation est à mettre sur le futur artistique et sur les domaines de la 3D ou l’intelligence artificielle qui progresse beaucoup. Ces modifications toucheront tous les secteurs professionnels d’ici 5 à 10 ans.


« C’est une nécessité de décupler sa capacité créative par l’informatique et le digital. »


WE MADE : Le mot de la fin ?


MARC GUÉVILLE : Ce que je peux rajouter, et qui donnera peut-être de la motivation aux étudiants, c’est que le stylisme/modélisme, et les métiers de la mode en général, sont de très beaux métiers. Il y a peu de place, c’est une réalité. Il faut donc beaucoup de conviction personnelle et de passion. C’est ce qu’on appelle le hara, qui vient du ventre, pour arriver à développer quelque chose de singulier et de personnel. L’insertion au sein d’une entreprise est une véritable stratégie personnelle. Je l’ai moi-même vécu. Donc être doué et créatif ne suffit pas. Il faut de la stratégie derrière et un important travail sur sa propre image. Quand on est dans la mode, c’est incontournable !

Propos recueillis par Ambre Rapel & Valentine Deshayes.

Photographie par Chloé Vergez.





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