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IMANE AYISSI, MÉTISSAGE COUTURE ET ENGAGÉ

Imane Ayissi, né au Cameroun où il commence une carrière de danseur, s’investit dans la mode en tant que mannequin puis devient créateur de pièces de haute-couture.

Influencé par son continent natal et par sa double culture, il propose un vestiaire autour de textiles d’exception, entre savoir-faire artisanal et dimension couture.

La récupération, le détournement, lui permettent d’adopter une posture créative anti-gaspillage. Le créateur, engagé et bien dans son temps déploie une silhouette en mouvement influencée par la danse. Imane Ayissi se livre sur ses influences, ses valeurs et ses engagements.


Courtesy : Imane Ayissi


WE MADE : Quelle a été votre première émotion mode ?


Imane Ayissi : Je pense qu’il s’agit de la vision de ma mère, une femme très élégante qui, lorsque j’étais enfant, me faisait rêver.


WE MADE : Dans quel contexte avez-vous grandi et comment votre enfance définit-elle votre vision de la mode ?


Imane Ayissi : J’ai grandi dans une famille de sportifs et d’artistes, à Yaoundé, dans une grande ville camerounaise. Je ne sais pas si cela définit entièrement ma vision de la mode, mais l’idée de la beauté, des femmes de ma famille, de la danse, des corps…, était au cœur de la vie de mon enfance, même dans les épisodes plus difficiles.


©Fabrice Malard


WE MADE : Quel a été votre parcours et comment influence-t-il votre travail ?


Imane Ayissi : Je suis autodidacte, je n’ai pas étudié la mode dans une école de mode. J’ai commencé à travailler très jeune comme styliste pour une marque de mode locale, tout en faisant partie d’une troupe de danse, ce qui m’a permis de voyager en Europe assez tôt. J’ai fait ensuite partie des danseurs de la tournée « Saga Africa » de Yannick Noah, et j’ai décidé de m’installer en France à la fin de cette tournée. J’ai alors travaillé comme mannequin et comme danseur, avant de décider de créer des petites collections de mode à Paris.


WE MADE : Qu’est-ce qui vous inspire au quotidien ?


Imane Ayissi : Tout peut m’inspirer : une image au détour d’un livre, une histoire que j’ai entendue, un objet, une conversation, des souvenirs, et globalement la marche du monde…


WE MADE : Pourriez-vous évoquer votre rapport au corps et à la danse et son impact sur votre travail ?


Imane Ayissi : Bien sûr, ce n’est pas quelque chose que j’ai théorisé ou même que je fais consciemment, mais il est vrai que je ne conçois pas un vêtement tant qu’il n’est pas porté sur un corps. La façon dont il se pose sur le corps, dont il va bouger quand on marche…, est vraiment essentielle pour moi. Encore une fois, ce n’est pas conscient mais parfois je peux constater une différence d’approche avec d’autres personnes avec qui je travaille et qui ont une vision peut-être bien plus abstraite du vêtement…


« Ce qui me semble très important, c’est le respect et la reconnaissance de chaque culture, et en même temps la rencontre de ces cultures et leur dialogue. Mais je suis également de plus en plus préoccupé par les questions d’environnement, mais qui ne l’est pas, avec cette question à laquelle je n’ai pas de réponse définitive : comment conserver sa liberté créatrice sans impacter l’environnement… » Imane Ayissi, fondateur de la marque éponyme.

WE MADE : Comment s’exprime votre double culture, française et africaine et votre amour de la haute-couture et de l’art contemporain ?


Imane Ayissi : Je pense que cela s’exprime justement dans la façon dont je fais de la mode, mais pour moi il s’agit simplement de ma vie quotidienne, que je partage entre à Paris, le Cameroun et d’autres pays africains, à travers mes voyages, mes relations avec ma famille, mes amis où des relations professionnelles qui vivent sur le continent africain. Tout comme mon intérêt pour l’art d’aujourd’hui, qui m’intéresse comme un moyen de lire le monde d’aujourd’hui, mais qui surtout se nourrit de rencontres avec des artistes.


WE MADE : Pourquoi avez-vous choisi de lancer votre marque ?


Imane Ayissi : Je ne sais pas si j’ai vraiment choisi, j’ai simplement ressenti le besoin de créer des vêtements et d’habiller les femmes. D’ailleurs, au départ, j’ai créé des collections sans me soucier de déposer une marque, de créer une entreprise, etc. Je n’avais aucune idée de la façon dont cela fonctionnait. La marque, l’entreprise sont venues ensuite, j’ai bien dû professionnaliser tout cela pour pouvoir continuer à faire ce que j’aime : créer des vêtements.


WE MADE : Quels sont les meilleurs conseils que l’on vous ait donné quand vous avez créé votre marque ?


Imane Ayissi : Je dois dire que j’ai dû faire face à énormément d’obstacles, mais que j’ai également reçu beaucoup d’aide et de conseils, donc il m’est difficile de dire quels sont les meilleurs. Peut-être, les plus important sont ceux que j’ai reçu pour accompagner ma candidature au calendrier officiel de la Haute Couture, mais bien après que j’ai créé ma marque.


WE MADE : Comment décririez-vous votre univers ?


Imane Ayissi : Complexe…


©Fabrice Malard


WE MADE : Quelles valeurs souhaitez-vous transmettre à travers vos créations ?


Imane Ayissi : Je pense que ce qui me semble très important c’est le respect et la reconnaissance de chaque culture, et en même temps la rencontre de ces cultures et leur dialogue. Mais je suis également de plus en plus préoccupé par les questions d’environnement, mais qui ne l’est pas, avec cette question à laquelle je n’ai pas de réponse définitive : comment conserver sa liberté créatrice sans impacter l’environnement…


WE MADE : Qui sont vos icônes ?


Imane Ayissi : J’en ai beaucoup dans la mode et ailleurs : Yves Saint Laurent, Madeleine Vionnet, Whitney Houston…


WE MADE : Pourriez-vous revenir sur votre rapport à la matière au savoir-faire artisanal ?


Imane Ayissi : Pour moi le savoir-faire artisanal, c’est ce qui distingue le vrai luxe du reste. Parce qu’on y conserve une dimension humaine, un investissement de celle ou de celui qui a produit un objet artisanal qui s’oppose à la froideur industrielle. Par ailleurs, ces savoir-faire, qui évoluent aussi, sont des réservoirs de créativité qu’il faut conserver et protéger. Des grands groupes de luxe français ou italien, comme Chanel par exemple, l’ont très bien compris. Dans la plupart des pays africains de nombreux savoir-faire artisanaux, en particulier dans le textile, sont en danger, quand ils n’ont pas déjà disparu. Il me semble que c’est le rôle des créateurs et du luxe de préserver ces savoir-faire, à travers les artisans qui les maîtrisent, en les utilisant et en les rendant désirables pour les consommateurs. En tout cas, moi je le vois comme une mission…


WE MADE : Vous êtes créateur depuis 22 ans, comment avez-vous vu évoluer l’industrie de la mode ?


Imane Ayissi : L’industrie de la mode a évolué à une telle vitesse qu’il est difficile de résumer cela en quelques phrases. Ces évolutions ont souvent deux faces, l’une très positive, l’autre moins… Par exemple, les réseaux sociaux, qui sont un formidable moyen de s’informer, de communiquer avec ses clients, ses admirateurs et qui permettent des rencontres et des partenariats qui se nouent plus rapidement. En même temps, ils sont responsables de l’accélération de la mode qui pousse à la surconsommation, ils mettent en avant des créations visuellement et superficiellement spectaculaires, au détriment de l’appréciation de la construction réelle d’un vêtement ou de la qualité de ses matières et paradoxalement aboutissent plutôt à l’uniformisation de la rue et à l’appauvrissement de la créativité dans la vie réelle…


©Fabrice Malard


WE MADE : Selon vous, pourquoi la mode africaine n'est-elle reconnue que tardivement ? Pourquoi a-t-elle été si longtemps mise de côté ?


Imane Ayissi : Tout d’abord, je n’aime pas tellement l’appellation « mode africaine », qui signifierait que les productions des créateurs du continent africains seraient toutes semblables et dictées par une culture commune plutôt que par leur propre style ou leur propre démarche créative. Or l’Afrique est un continent avec 54 pays et des multitudes de cultures différentes, et les créatrices et créateurs africains sont tout aussi capables de créativité individuelle que dans le reste du monde.

Cela dit, si les créateurs venus du continent africain ont mis tellement de temps à être considérés et pris au sérieux, cela vient du fait qu’il n’y avait, et qu’il n’y a toujours pas en Afrique, un secteur de la mode structuré et comparable à celui des pays occidentaux ou asiatiques. Il était assez difficile pour des créateurs africains de comprendre le fonctionnement de la mode internationale et de s’y immiscer. D’autant plus que ces derniers ont été considérés jusqu’à très récemment par un biais occidental misérabiliste, incompatible avec l’idée de créativité et de modernité de la mode. Aujourd’hui, si le monde de la mode est bien obligé de constater l’inventivité et le savoir-faire de nombreux créateurs africains, il est plus problématique de les inclure dans le monde du luxe et ils sont toujours moins pris au sérieux que n'importe quels créateurs de toute autre partie du monde dès qu’il s’agit de business ou d’investissement. Cela, je le vis tous les jours…


WE MADE : Quel est votre point de vue sur l’appropriation culturelle et la pollution textile en Afrique ?


Imane Ayissi : Je ne me satisfais pas du tout de la définition que donne les Etats-Unis de l’appropriation culturelle, parce que, tout d’abord, je pense profondément que les productions culturelles sont faites pour circuler et dialoguer et parce que ce partage entre cultures « minoritaires » et cultures « dominantes » me semble au minimum très caricatural. Le respect des savoir-faire est bien plus important pour moi.

Par exemple, j’utilise régulièrement dans mes collection un textile originaire du Ghana, des peuples Ewe et Ashanti, le « Kenté* ». On pourrait tout à fait m’accuser d’appropriation culturelle, moi qui suis Camerounais, du peuple Beti. Mais quand j’utilise ce textile pour un manteau, je le conçois en collaboration avec des tisseurs du Ghana et je le fais réaliser par ces mêmes artisans. Donc, je ne m’approprie pas leur savoir-faire, mais plus important, ils sont évidemment rémunérés pour ce travail, une partie significative du prix de vente de ce manteau leur revient.

En revanche, quand Virgil Abloh, qui a par ailleurs ouvert d’autres portes de façon positive, introduit des tissus aux motifs « Kenté » dans une collection Louis Vuitton, on ne peut pas l’accuser d’appropriation culturelle puisque ses parents sont originaires du Ghana, en revanche, ce tissu est produit industriellement dans des usines occidentales qui travaillent pour Louis Vuitton, sans que le savoir-faire de ceux qui traditionnellement fabriquent ces tissus n’ait été reconnu et rémunéré. Et pour moi, c’est vraiment problématique…

Quant à la pollution textile en Afrique, c’est une véritable catastrophe écologique puisqu’on se débarrasse de la surproduction démentielle du monde occidental, de produits de très mauvaise qualité, majoritairement en fibres synthétiques qui vont polluer durablement les sols et l’eau de microplastiques. Bien sûr, cela devrait être de la responsabilité des gouvernements de se protéger de cette pollution en refusant ces importations, mais de toute façon, je pense qu’il faudrait interdire à l’échelle mondiale l’utilisation des fibres synthétiques non biodégradables dans la mode. Le plaisir de s’habiller, l’importance culturelle de la mode, ne justifient pas de polluer notre planète de cette façon.


WE MADE : Vous travaillez notamment autour de la récupération et du détournement, dans une démarche anti-gaspillage et écologique, comment visualisez-vous le futur de votre marque et de l’industrie de la mode ?


Imane Ayissi : En ce qui concerne l’industrie, je souhaiterais qu’elle soit beaucoup plus fortement réglementée au niveau mondial, au niveau l’utilisation de matières polluantes, ce qui obligerait à trouver des solutions de substitution non polluantes pour un certain nombre de produits comme les zips par exemples, pour lesquels il n’existe pas à ma connaissance, d’alternatives satisfaisantes…


WE MADE : Comment s’exprime votre engagement ?


Imane Ayissi : J’essaie au maximum, dans mes collections, d’utiliser des matières naturelles in fine biodégradables, même si dans le contexte actuel je n’y arrive pas à 100%. Mais faire de la couture, c’est-à-dire à l’opposé d’un système hyper industriel de surproduction, est aussi une manière de s’engager pour une mode plus durable…



Propos recueillis par Camille Petris et Angélique Maumelas.


*Kenté : tissu artisanal, composé de plusieurs bandelettes multicolores cousues côte à côte. D’une longueur d’environ 6 mètres, il est tissé en coton ou encore un mélange de coton et de soie (source : africanfabricstories.com).



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